Jacques Lachance et Marie-Paule Malec lors du premier Innucadie en 2006

Le Festival du Conte et de la légende de l’Innucadie à Natashquan (par Jacques Lachance)

Tel fut le nom donné à un festival qui se voulait à la fois un événement touristique et un lieu de rencontre et de connaissances mutuelles entre nations. Car il y a des Nations en ce pays. Premières et secondes qui ont pu bousculer avec leur venue et leur établissement certaines façons de vivre mais pas nécessairement des façons de penser.  Car les Premières Nations sont demeurées les Premières Nations. L’Innucadie ? Un pays imaginaire, éphémère peut-être, mais créé et recréé pour l’espace de quelques jours, année après année.

L’Innucadie : pour l’élégance de la Bonne Entente, pour l’ouverture à l’autre! Une occasion de se tourner du côté de la fraternité, du partage et de l’échange de propos francs et de souvenirs. Pourquoi pas? Il faut bien qu’on se dise…  Des pans d’histoire, des anecdotes, un temps pour s’arrêter, pour se dire, écouter, se parler et créer des liens. Conférences, lieu de créativité par surcroit et de prestations d’artistes. Telle fut l’idée qui a germé chez des rêveurs conscients d’un covoisinage méritant un rapprochement qui puisse refléter quelque chose de bienfaisant, hors de tout aspect politique ou de vedettariat.

Enfin, pour les visiteurs qui allaient permettre à cet événement d’être, il y avait là une occasion de se mêler à quelque chose d’inusité, sous la tente, dans un Shaputuan, dans un amphithéâtre comme la salle Uahmiss de la communauté de Nutashkuan ou au Café Bistro de l’Échouerie sur la plage du village de Natashquan; établissement qui, lui aussi, fut créé en 2005 pour favoriser l’accueil, le partage, les échanges entre la visite et les gens du pays, Innus et fils d’Acadie venus s’établir sur ce littoral, à des milliers d’années de distance-temps.

À proximité de ces lieux physiques, des sites d’exception et de mémoire : le site patrimonial des Magasins du Galet, des sites de campement traditionnel, l’Ile Sainte-Hélène à l’embouchure de la Grande Natashquan, cette rivière qui fut le chemin d’eau des Innus vers leurs territoires, bien loin en amont.

Les magasins des Galets
Grande rivière Nutashkuan
Île Ste Hélène

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L’histoire commence quelque part, en fin d’été 2005.

Je suis, depuis un an, à la direction générale de la nouvelle corporation vouée au développement du tourisme : la Corporation Patrimoniale, Culturelle et Touristique de Natashquan qu’on connaît déjà sous le nom de Copacte. Cette année-là et dans les mois qui suivront, bien des activités de construction sont en cours en ce village qui vit naître et grandir le poète et chansonnier Gilles Vigneault. On a décidé de créer, en ce lieu, un village d’accueil qui se fera connaître sous l’accroche promotionnelle du « Pays raconté ».

Copacte

Alexis Roy est là, devant moi, dans le petit bureau que j’occupe temporairement et où je travaille au développement de cette industrie émergente du tourisme pour le secteur géographique de l’Est de la Minganie. Ce n’est pas la première fois que nous échangeons. Il y a entre nous deux un lien d’amitié qui se tisse. Alexis Roy, c’est le généreux « docteur clown » de l’hôpital pour enfants Sainte-Justine de Montréal, un conteur émérite qui a œuvré aux services sociaux et à l’enseignement dans la communauté Innue voisine de Nutashkuan; communauté que je connais bien pour avoir donné un coup de main, 25 ans plus tôt, à l’établissement de la première station de radio chez les Premières Nations aborigènes du Québec (à l’exceptions des stations émettrices du Service du Nord de Radio-Canada et aux radios développées chez les Inuits en ce Nord sans arbre qu’on appelait alors le Nouveau-Québec).

L’atmosphère est détendue. Le but de la rencontre: penser à quelque chose qui réunirait les autochtones et les villageois de Natashquan : un événement qui tendrait vers l’imaginaire et la mémoire, le savoir et l’expérience de l’autre.

Nous parlons donc ensemble d’un événement de covoisinage entre les deux sociétés que nous connaissons l’un et l’autre et dont nous sommes en mesure d’observer le type de relations et une forme de solitude car, tous deux, nous sommes venus d’ailleurs pour tenter de nous fondre en cette nouvelle vie sur le littoral du Golfe du Saint-Laurent, à des centaines de lieux des grands centres urbains et des campagnes québécoises du Centre du Québec.

On jase donc, Alexis et moi, au sujet de la Chose à créer; un événement qui unirait deux solitudes, tout en favorisant une attractivité suscitant la venue de gens désireux de séjourner sur place et d’y vivre l’enchantement des lieux pour quelques jours. Un soutien à l’économie, bien sûr, des uns et des autres car tout événement qui ne se fait pas devant public est confronté à la culture du miroir de soi-même et ne peut se nourrir que des cotisations de la communauté. Le public est essentiel pour que s’exprime nos particularités. Ce public serait donc éventuellement composé de gens intéressés par la culture des uns et des autres. Et puis Natashquan est alors un village dévitalisé.

Tourisme et Créativité, Prestations et Partage font donc leur chemin dans le fil de notre conversation. Cette rencontre est bien informelle et détendue. On n’a pas besoin de « se creuser la tête » …  Quelque chose est en train de germer, bien naturellement.

Au cours de cet entretien amical, il est rapidement question de contes et de légendes car les natashquanais sont connus comme de grands raconteurs tandis que chez les Innus, les aînés sont porteurs de fabuleuses légendes sur la création, la vie, la pêche et la chasse, la sagesse du rêve, des légendes qui se transmettent depuis des siècles au sein de cette société alimentée par une spiritualité; une société où prime la tradition orale. La fierté des uns et des autres devient une préoccupation pour nous afin de susciter un certain engouement en préparation de l’événement encore relativement flou dans notre esprit. Mais il se précisera car Alexis est un conteur qui depuis nombre d’années donne des prestations.

Il me parle des grands noms du Conte qui ont percé dans ce domaine propice â laisser voguer l’imagination, faisant allusion à une association, le Regroupement du Conte au Québec. Je serai présent à leur assemblée générale quelques semaines plus tard.

Les minutes passent et voilà qu’on décide que l’événement sera un festival de contes et de légendes qui mettra à profit les talents des uns et la sagesse des autres. Un pas de fait… Le « quand », le « comment » sont des questions qui demeurent quelque peu négligeables, ce jour-là…  On sait bien qu’il faudra tenir l’événement aux beaux jours de l’été quand les Innus (montagnais) sont au village, donc avant la période de la chasse et quand la saison touristique, encore embryonnaire en 2005, bat son plein en Minganie. Encore pourrait-on voir à la prolonger, cette saison des visiteurs, avec cet événement qui se précise. Ce pas étant franchi, suivent les formulations. Il ne reste en effet que le nom à donner à l’événement…

Tout d’un coup, j’entends Alexis prononcer un mot : « INNUCADIE »!

Ça y est : le Festival du Conte et de la Légende de l’Innucadie à Natashquan vient de naître!

Pourquoi tenait-on à préciser Natashquan ? Parce que ce nom avait depuis quelques décennies une certaine notoriété tout comme Sète en France évoque le nom du chansonnier Georges Brassens qui a « cassé sa pipe » alors que Gilles Vigneault est, lui, parmgi nous, revenant dans son village, été après été. De plus, Natashquan est connue, à ce moment, comme la municipalité où la route 138 prend fin. Il faut nécessairement savoir attirer les gens de paix, les gens de curiosité, ceux et celles qui ont envie de dépaysement, de nature et de rencontres authentiques, hors des grands circuits communs.

Il restait donc à trouver une figure de proue, un ambassadeur ou une ambassadrice qui étant proche des amérindiens, québécoise par surcroît, allait représenter le Festival et, par sa propre notoriété auprès du public québécois, allait donner de la crédibilité à l’événement dont la première édition allait suivre en 2006, quelques mois plus tard.

Cette figure de proue ce fut l’artiste bien connue, auteure-compositrice, Chloé Sainte-Marie, chantant en français comme en langue Innue qui, grande amie de la poétesse Joséphine Bacon, accepta de supporter l’événement et d’en être la première présidente d’honneur. Quelle reconnaissance ressentie!

Je me souviens. Ce jour-là, j’étais à la Cordée à Montréal, à la recherche d’un imperméable lorsqu’elle me rappela. J’avais tellement foi en cet événement que nous étions en train de mettre au monde, j’étais tellement confiant en la portée de cette cause de l’Innucadie, de la bonne entente entre deux sociétés vivant côte à côte; une entente pouvant progressivement être générée. J’étais tellement assuré par l’équipe qui était en train de se former que je pense avoir été assez éloquent au téléphone pour que l’artiste Chloé accepte de se joindre à la Cause, à la juste condition qu’elle puisse venir avec son compagnon et conjoint, le cinéaste Gilles Carle qui, alors, atteint par une maladie dégénérative mais tellement bien soigné, allait se trouver assis, lors du Festival quelques mois plus tard, aux côtés de l’autre cinéaste Arthur Lamothe qui avait tant filmé les Innus et tant recueilli de témoignages que nous en fûmes tous émus pendant que Chloé sur scène défilait dans sa fameuse chanson, nous livrait tous les noms amérindiens que le Québec porte y compris Natashquan (dérivé du mot innu Nutashkuan signifiant « là où l’on chasse l’ours »). 

Chloé Ste Marie et Gilles Carle

Tout est donc parti ainsi, en 2006 : cette première édition du Festival du Conte et de la légende de l’Innucadie à Natashquan. La première et les éditions successives qui se seront suivies mettant en scène  de grands artistes du Conte, sous la direction artistique éclairée de l’amie, Josée Chaboillez (lors des premières années de l’événement) qui accepta fort heureusement de se joindre au concept. Elle m’accompagna au Rassemblement du Conte. On échangeait, on parlait. Son apport fut précieux, tout comme celui d’Alexis, car il y eut aussi ce grand concert donné au théâtre Le Capitole à Québec que nous avions monté pour trouver les fonds d’autofinancement nécessaires à toute demande de subvention. Car, un tel événement, dans un petit village maritime et septentrional et dans une communauté des Premières Nations à plus de mille kilomètres de Montréal ne peut plus s’organiser que sur le bénévolat. Josée fut la directrice artistique de ce Concert « Natashquan, le pays raconté » qui connut un grand succès, faisant salle comble et apportant ainsi de l’eau au moulin.

Voici donc que nombre d’éditions ont pris place, année après année, chacune se déroulant dans l’émerveillement et surtout dans une extraordinaire ambiance de partage dont les moments forts furent sans contredit les rencontres sous le Shaputuan entre aînés Innus racontant des épisodes touchants et aînés du village de Natashquan, fondé en 1855.  Femme de talent et de culture, de théâtre et d’idées, Josée Chaboillez appuya le festival pendant plusieurs années avec l’aide et le soutien de l’ami Alexis, lui-même devenu directeur artistique; personnage impliqué comme conteur qui ne manqua pas de suggérer des noms d’artistes-conteurs, de musiciens d’ambiance festive, rappelant les airs du pays, offrant lui-même, année après année, des prestations de haut calibre, tout en prenant le temps d’animer la Rencontre des anciens. Il mit aussi à profit l’Idée d’un convoi de conteurs, une caravane s’arrêtant ici et là, sur la Côte, pour offrir des prestations sur la route de Natashquan. Quand je repense à ces grands moments, l’émotion est là, toute proche, qui remonte en moi. Je crois que ça se rapproche de la plénitude.

J’étais ravi, de fois en fois, littéralement transporté à travers une atmosphère tant de fois rêvée : celle du rassemblement, du partage et d’une forme de réconciliation après des années moins rassembleuses. À mon entendement, une fraternité était en train de naître. Qu’il est bon et même nécessaire de se côtoyer et d’échanger au sujet de ce qui se passe en nous, autour de nous. L’avenir de la planète ne pourra se passer de la fraternité et de ce grand sentiment de sympathie qui s’appelle l’Amour. Sinon, on pourrait cheminer vers une bête implosion. L’expérience de la pandémie vécue à travers le monde et en ce pays que nous habitons à partir de mars 2020 est là pour nous rappeler où loge la vérité essentielle.

Oh, bien sûr, je pourrais faire allusion à tous ces efforts, tout ce travail, ce qu’on appelle parfois « un trop plein d’intensité dans l’affairement » qui vient avec la coordination de tels événements qui procèdent de la passion et qui génèrent aussi une certaine fatigue avec l’âge. Ce n’est pas de tout repos de poursuivre une cause. Tous le savent. Un jour vient où il est temps de se retirer. On sait aussi que tout est éphémère. Des mois de travail pour quelques jours de réalisation, d’un programme à définir, à planifier, des ententes à signer, des cachets à verser bien sûr en plus des frais de séjour. Et puis, une fois qu’on se retrouve en plein cœur de l’événement, toute cette concentration requise pour s’assurer que « ça roule », que tout est là, que le son est bon, que l’éclairage est présent, que les salles sont prêtes et les sièges en place. L’importance du travail en équipe est là! Ainsi apparaissent la générosité, la bonté des uns et des autres.  Après que je me sois impliqué, souvent comme co-animateur que l’ami Alexis se soit aussi profondément impliqué, comme directeur artistique succédant à Josée et lui-même comme animateur et co-animateur aussi avec Marie-Paule Malec et de nombreux autres maitres de cérémonie. Après que Josée ait consacré tant d’énergies aussi, je sais que bien d’autres personnes comme Brigitte Lalo Malec, Marie-Paule Malec dont je viens de mentionner le nom ont fait tellement de choses pour que cet événement colle à la réalité du milieu et qu’il soit livré avec la fierté d’un peuple. Tellement de fierté en moi aussi, que je dirai : « Je vous lève mon chapeau » expression qu’utilisait le maire de Natahquan à l’époque, Jacques Landry, qui fit tant comme Magella Landry pour que le tourisme de niche qu’on a vu se développer dans ces « cantons maritimes d’en bas » devienne une industrie durable. Ce serait toujours en voie de se concrétiser.  Et je suis heureux de le souligner : il y a de plus en plus prise en charge commune.

Un jour, il fut décidé que l’événement « Innucadie » qui avait été lancé et organisé sous l’égide de la Copacte de Natashquan avec l’appui des élus et des présidents d’organisme comme Magella Landry qui aura aussi beaucoup fait pour le succès du Festival; un jour, il fut décidé que le Festival devrait posséder sa propre charte et voler de ses propres ailes. Ce qui fut fait! Marie-Paule Malec et ses proches ont grandement donné, année après année, y mettant toute leur belle énergie alors que, maintenant, l’événement a un petit bureau dans l’ancien presbytère de Natashquan et, qu’au moment où j’écris ces lignes, Monique Bouchard y voit aussi depuis plusieurs années avec passion et conviction, multipliant les actions pour que chaque édition voit le jour et se déroule correctement avec une appropriation qui s’est lentement déplacée du côté de la communauté Innu. Ce fut bien qu’il en soit ainsi!

Cet écrit ne se veut pas un rappel de tous les noms mais je ne peux que saluer Francis Malec qui aura joué le rôle de président de la nouvelle corporation du Festival pendant nombre d’années. J’espère que l’événement connaîtra encore de bonnes années et que les quelques familles descendant d’acadiens établis dans la région n’oublieront pas que tout comme la Nation Innue, ils y ont aussi leur place.

Il me faut souligner aussi l’importance des contes et légendes dans ce festival qui se doit aussi de comporter des activités plus légères, des prestations musicales et de chansonniers, l’importance de l’animation; rappeler ainsi que les contes, les performances de toutes sortes, qu’elles proviennent du terroir ou d’ailleurs, ont aussi leur place, tout comme les légendes, l’interconnaissance qui fut favorisée dès le départ. Ce serait un leg que les fondateurs de l’événement seraient ravis de laisser à ceux qui suivront. Il y a tellement de choses qui se sont réalisées à la suite de ces premières années et que j’ai trouvées belles. De belles et grandes initiatives, des partages touchants, des aveux percutants, des moments difficiles aussi bien que des moments de joie et de fraternité: un mot que j’aime bien évoquer. Qui peut bien porter ce message, aujourd’hui, comme porte-parole d’un tel événement ?

N’oublions pas que « le caribou est un animal indien » comme l’écrivit l’anthropologue Richard Dominique il y a deux décennies. N’oublions non plus pas que les poètes, l’art et la culture sont à la base d’une élévation au-dessus du quotidien et que ces éléments transportent bien des aspirations et une grande part de vérité. Je fais ici éloge aux gens, présidents et présidentes d’honneurs, auteurs, compositeurs, poètes et poétesses, conférenciers-vulgarisateurs, conteurs et conteuses qui se sont succédé sur la plateforme du Shaputuan qui aura tenu lieu de scène et sur les scènes des salles qui ont abrité le Festival du Conte et de la Légende de l’Innucadie, en plein cœur d’une nature que mes amis innus savent nous rappeler qu’il s’agit de leur « Terre-Mère ». Gratitude!

Extrait du manuscrit (mi-août 2019, à la suite de la quatorzième édition du Festival de l’Innucadie)

« Les jours derniers, alors que j’étais en présence d’un auditoire composé de visiteurs et de gens du pays, agissant alors à titre de porte-parole du Festival du Conte et de la légende de l’Innucadie à Natashquan et Nutashkuan, j’ai souvent porté ma main au cœur en signe de paix. En fait, je crois le faire depuis que j’ai subi une chirurgie cardiaque. Bonne raison, non?

« On me laissera redire un mot au sujet de cet événement qui, en 2005, émergea comme une inspiration dont je me devais être le serviteur, puis un des serviteurs. Ce festival en était, cette année-ci, à sa quatorzième édition. Je considère que le pays imaginaire de l’Innucadie a sa vie propre. Il a tout au moins le droit de flotter dans ce pays de la mixité côtière quelques jours par année. La loi du « Principe au-dessus des personnalités » doit s’appliquer pour que rayonne notre région à travers le bénéfique co-voisinage Innus et Acadiens, peuples de la forêt (aborigènes) et québécois qui, à ma connaissance, n’est pas célébré ailleurs.

« Tenu aux confins de la Minganie, sur le littoral de l’arrière-pays millénaire du Nitassinan des autochtones Innus et, du même coup, sur les lieux de l’habitat des acadiens maintes fois déportés dont les ancêtres sont jadis venus s’établir en ce bord de mer symbolisant l’espoir d’une vie nouvelle, il convient de maintenir bien vivant ledit événement, de laisser son esprit s’imprégner de ce qui est suggéré par cette quasi-cohabitation; de la faire rayonner avec solidarité aussi bien par souci de la Connaissance mutuelle. N’y-a-t-il pas quelque chose de plus beau que de se reconnaître les uns les autres comme des frères, de savourer ce qui distingue l’autre de nous et d’en apprendre plus en une telle occasion d’interconnaissance mutuelle sur le mode de vie et de pensée de chacun? Et si le public est là, devant, voici bien un incitatif à mieux se présenter et à enrichir les visiteurs attirés par l’événement ou se trouvant là, par hasard. En fait, il n’y a pas de hasards, je dirais. On se trouve toujours là où l’on doit être pour que notre vie soit l’Expérience.

« Petit chapitre que je compléterai en affirmant que je dois le respect aux uns comme aux autres. Quand je m’adresse à eux, ma façon de faire n’est pas la même qu’à Québec, à Paris, Lyon ou Pondichéry. Quand je vais à la ville, dans l’Ile de mes ancêtres, c’est un personnage doté d’une autre approche qui aborde les gens. Sur Anticosti, c’est autre chose. Une autre histoire, d’autres gens.

« Mais partout l’observation est de mise, ouverture en poche avec un peu de douceur, le désir de paix. Une écoute attentive et l’esprit d’une solidarité quand le moment s’y prête et quand l’interlocuteur porte en son être l’authenticité de son état et non pas l’acting-out. Faute de quoi, coco, il est mieux de passer son chemin.

« Saluez-vous tous et chacun quand, inconnus l’un de l’autre, marchant en sens contraire, vous vous croisez sur les trottoirs de la ville ? Feriez-vous un salut de votre main au-dessus du volant de votre automobile quand un autre véhicule venant en sens contraire sur le Chemin des Quatre-Bourgeois vous croise ? Je connais la réponse! Ici, à cette latitude, ça se fait et je me prête aisément à la chose car, bien souvent, la personne se trouvant au volant de l’autre véhicule qui vient en sens inverse vous connaît aussi. Tout au moins, vous partagez le même coin de pays au bout de la route 138. Il m’arrive même de saluer les policiers rencontrés sur la route… 

Hic et nunc de la vie en région éloignée. »

Natashquan, sentier menant à Innucadie

Extrait du manuscrit (un an plus tôt : hiver 2018)

« Dans les faits, si j’ai pu aider un petit peu par-ci et un petit peu par-là, participé à l’agrandissement des idées et à la confiance en soi qui aurait pu un tant soit peu jaillir en quelque individus, c’est que j’ai pu prendre conscience que je suivais quelque chose qui m’apparaissait comme ma voie. La vie passait, s’exprimait – pourrais-je dire – à travers moi.

« Quelques témoignages du milieu autochtone sont parvenus à mes oreilles à l’effet que j’aurais concouru quelque part dans ma vie à un petit quelque chose qui se concrétise aujourd’hui en créations artistiques, musicales et vocales (on me parlait de la radio pour évoquer ces aspects), un petit quelque chose qui a à voir avec la parole donnée et au reflet rendu possible, entre autre par ce Festival du Conte et de la légende de l’Innucadie que l’ami conteur Alexis Roy et moi avions contribué à mettre au monde avec le soutien de quelques personnes aussi bien intentionnées qu’attentionnées dont Josée Chaboillez qui a pris la direction artistique des premières années de l’événement et un grand nombre de valeureux et généreux collègues de la Première Nation Innue et du village de Natashquan qui ont cru à cette initiative.

« Se rassembler sous le parapluie de la solidarité, au soir de sa propre humanité, m’est tranquillement apparue comme le chemin à suivre, mettant de côté la chose argentière (qui se régla sans trop de problème), le prestige, la possession et le pouvoir éphémère que procure ladite chose : tant d’éléments qui font qu’on se retrouve foncièrement malheureux (ce qui arrive à trop de gens) au moment de savoir que la Grande Page est en train de se tourner et qu’il s’agit peut-être du Couvercle arrière du Livre de notre vie.

« Si je considère souvent les gens des Premières Nations comme mes amis – je ne sais pas d’ailleurs s’ils le savent… –, il demeure que cette amitié n’a pas toujours coulé de sources. Certains individus m’auraient perçu à travers leurs propres lunettes. Leurs blessures. Nous en avons tous. Je vois aussi parfois des gens agir avec ce triste sentiment qui monte en moi de porter de la méfiance. Est-ce de la sagesse ou du jugement. Car nous nageons dans un monde où l’égocentrisme n’est pas chose si rare. D’autres liens, plus respectueux (ce qui n’a jamais empêché de sains échanges de points de vue), n’ont pu vraiment s’actualiser qu’à travers les années. J’espère le bien pour chacun d’entre eux et d’entre elles (car j’ai eu aussi de bonnes amies dans les communautés). Qu’il en soit ainsi que pour leurs frères, leurs sœurs et leurs enfants.

« Je me dois de remercier le Grand Esprit universel de m’avoir permis d’être en contact avec des représentants de ces nations autochtones qui m’ont aussi ouvert leur porte.

« Quant aux gens de Natashquan, la plupart qui m’ont fait confiance en laissant venir ce Festival dans leur municipalité, je tiens à les remercier. Là non plus, tout n’a pas coulé de source. Il fallait créer un événement mais qui aurait su que ce serait celui-là qui germerait?

«  Fait rare : ce Festival ne fut pas celui de la bière et des spiritueux mais celui de l’esprit. Grand bien ce fut! »

Il aura toujours besoin d’un porteur de drapeau, d’un ou une porte-parole digne de la Parole qui flotte au-dessus de ce Festival. Puisse-t-il connaître un bel avenir sur ces élans.